À Sabadell, la mobilisation massive pour l'indépendance catalane a fait place à la résignation. Dans cette ville d'environ 200 000 habitants, les graffitis et quelques drapeaux catalans ci et là rappellent l'intensité du référendum du 1er octobre 2017 pour l'indépendance. 55 000 personnes s'étaient déplacées aux urnes à Sabadell. Quatre ans plus tard, et quelques mois après la libération des neufs prisonniers politiques, que reste-t-il du mouvement ?
« Dix-huit… vingt.. On est vingt-trois aujourd’hui ». Sur la place de la mairie de Sabadell (à 30km de Barcelone) quelques irréductibles indépendantistes catalans manifestent sous le grand balcon en pierres qui longe la façade néoclassique de l’édifice. Tous les jours à 13h depuis juin 2019, ils se donnent rendez-vous pour dénoncer le retrait d’une pancarte en faveur des « prisonniers politiques », décidé par la nouvelle maire socialiste dès sa prise de possession. « Au début la place était pleine, explique un nostalgique retraité qui ne souhaite pas donner son nom, mais aujourd’hui beaucoup ne viennent plus, ils sont démobilisés ».
« Vive la Catalogne… libre ». Ils ont beau s’époumoner et utiliser un mégaphone, les militants sont loin de faire autant de bruit qu’il y a quelques années. Autour d’eux, la vie suit son cours, rares sont celles et ceux qui s’arrêtent ou leur prêtent attention. Pas même le policier de garde devant l’entrée. Il est plus occupé à regarder son téléphone qu’à s’inquiéter de cette présence d’une vingtaine de retraités
« Aujourd’hui, on était 40 », conclut au mégaphone l’anonyme, gonflant un peu le chiffre annoncé quelques minutes auparavant. Pour lui, le manque de mobilisation est principalement dû à l’absence de leadership et d’objectifs du mouvement. « Avant, on avait l’objectif du référendum du 1er octobre 2017, on avait un gouvernement qui nous poussait à nous mobiliser. Aujourd’hui on a fait tout ce qu’on nous a demandé : manifestations, organisation du référendum, défense des bureaux de vote… on a besoin qu’ils nous disent quoi faire désormais ! Il n’y a plus d’objectif », se lamente-t-il, soutenu par ses amis militants.
Près de quatre ans après la tenue du référendum d’autodétermination catalan (jugé illégal par Madrid), le mouvement indépendantiste est à l’image de cette place de Sabadell tous les jours à 13h : démobilisé, frustré mais toujours là.
À quelques pas de la place de la mairie, Ricard Fernàndez prend un café en se rappelant les événements du 1er octobre 2017. Ce dessinateur de BD d’une quarantaine d’années se présente comme un indépendantiste « circonstanciel », surtout « par opposition à l’État espagnol monarchique plutôt que par nationalisme catalan ». Tee-shirt noir et pantalon de la même couleur malgré la chaleur, il a des allures d’ancien chanteur de rock alternatif en roulant sa cigarette. En 2017, il s’est porté volontaire pour être « interventor » lors du référendum. Son rôle : veiller à ce que tout se passe au mieux, qu’il n’y ait aucune fraude et que tout le monde puisse voter normalement. Mais aux dernières élections catalanes de février, Ricard n’a pas voté.
Dans son entourage, il ressent un « désenchantement » envers la classe politique même si les partis indépendantistes en coalition ont conservé leur majorité au parlement régional. « Ces partis sont désunis, il y avait un objectif commun : le référendum, mais il a désormais disparu et avec lui la possibilité d’une entente réelle entre ces partis et c’est triste », analyse-t-il entre deux bouffées de cigarette. Une réflexion partagée par la plupart des manifestants de la Diada, fête nationale catalane, ce 11 septembre à Barcelone. Selon les organisateurs, ils étaient 400 000 à défiler dans les rues, réclamant l’indépendance. Ceux-ci ont donné un chiffre de participation pour la première fois en dix ans. La police locale a compté 108 000 participants, soit six fois moins que lors de la Diada de 2019. Outre la baisse de la mobilisation que certains veulent justifier par la pandémie, pour la première fois, nombreuses étaient les pancartes et slogans contre la classe politique indépendantiste dirigeante accusée d’avoir « trahi le mandat du référendum ».
« 1-O : ni oubli, ni pardon »
Pour comprendre la démobilisation apparente du mouvement il faut rappeler son apogée. Partisans ou détracteurs s’accordent à situer ce moment à une date bien précise : le 1er octobre 2017, appelé 1-O. Après plusieurs années de tensions politiques opposant le gouvernement régional catalan indépendantiste au gouvernement espagnol conservateur, plus de deux millions de catalans (sur 5 millions inscrits sur les listes électorales) votent lors d’un référendum d’autodétermination. Celui-ci est durement réprimé par les agents de police nationale envoyés spécialement pour l’occasion dans la région. Les graffitis « 1-O : ni oubli ni pardon » résument l’impact de cette journée pour le mouvement.
À Sabadell, cinquième ville de la région en nombre d’habitants, beaucoup s’attendaient à la venue de la police espagnole ce jour-là. Surtout à l’école Nostra llar ( « Notre foyer » en français) où devait voter la présidente du Parlement régional de l’époque, Carme Forcadell. Poursuivie également par la justice, elle a été condamnée pour sédition, comme ses collègues, et a écopé de 11 ans de prison en 2019.
« La Catalogne, triomphante
sera de nouveau riche et prospère
Dehors ces gens
Si vaniteux et méprisants »
Ricard Fernández n’oubliera jamais. Quatre ans après, il se tient devant le même bureau de vote dans lequel il se trouvait le 1er octobre 2017 avec une poignée d’autres volontaires. De l’intérieur, il a vu les uniformes qui délogaient un à un les manifestants regroupés devant les portes en verre.
Au moment de l’arrivée des policiers dans le bureau de vote et dans le chaos, il ne se rend pas compte que certains des organisateurs prennent la fuite de l’autre côté, par la cour de récréation, avec les urnes.
Les policiers entrent en brisant les portes d’entrée. Sur l’une des vidéos de la caméra-plastron portée par un agent ce jour-là, on les entend crier « où sont ces putains d’urnes » avant d’enfoncer, à coups de pieds, chaque porte des salles de classe. « Serrurier 24/24h » entend-on s’amuser l’un d’entre eux. Les clés de chaque porte sont pourtant à leur disposition dans l’entrée.
Ricard garde son calme. Il refuse de signer le rapport de police. La scène dure une demi-heure. Dehors, les indépendantistes commencent à entonner l’hymne catalan. « La Catalogne, triomphante / sera de nouveau riche et prospère / Dehors ces gens / Si vaniteux et méprisants. » À l’intérieur, les agents placent des boîtes à jouets dans de grands sacs poubelles et les sortent de l’école. « Ils voulaient faire croire à ceux de dehors qu’ils emportaient les urnes » explique Ricard. Dans ses descriptions, il s’arrête souvent sur un détail tout en donnant quelques citations du moment, comme s’il décrivait une vignette ou planche de BD.
Une fois les boîtes à jouets emportées, et la poignée de personnes présentes dans l’école identifiée, la police repart, repoussée par la foule poing levé jusqu’à leurs fourgons. Le vote reprend et les urnes refont leur apparition. Jusqu’à 20h, ce sont principalement des indépendantistes qui se rendent aux urnes. « Je considérais que ce référendum devait se faire, même si, comme cela s’est finalement passé, cela finissait par devenir une chose anecdotique, le but était d’avoir une participation majoritaire », justifie le quadragénaire
La démobilisation
Ricard avait arrêté de fumer. Depuis le 2 octobre 2017, il a rechuté. « Moi je ne pensais pas qu’on serait indépendants mais j’attendais au moins que le gouvernement espagnol admette qu’il y avait un conflit politique, qu’ils ont tenté de freiner un vote par la force, et que ce n’est pas normal », se souvient le sabadellenc.
Lui, les Catalans mais aussi plus généralement le reste du pays attendait de voir ce qu’il se passerait après ce jour historique. Certains espéraient une déclaration unilatérale d’indépendance de la part du gouvernement catalan. Elle a finalement eu lieu plus de trois semaines plus tard, le 27 octobre 2017, après une ultime attente de négociation avec Madrid qui n’arrivera jamais, et cédant à la pression indépendantiste de la rue qui réclamait l’application du « mandat du 1er octobre ». Deux jours plus tard, une partie du gouvernement catalan fuyait en Belgique. Quant au reste de l’exécutif, ils sont tous emprisonnés, jugés et condamnés pour sédition.
Pour lui comme pour beaucoup, la déception est réelle. « On avait le choix entre installer un conflit permanent avec un adversaire plus fort que nous, et espérer un geste politique qui puisse contenter aussi bien la Catalogne que l’Espagne ou l’Europe. Mais cet espoir ne s’est jamais concrétisé ».
« ce n’est pas nouveau, pour désactiver la dissidence il suffit d’en mettre 25 en prison, tu auras ses amis et famille qui organiseront un groupe de soutien, leur priorité sera de le sortir de là. Et voilà, tu auras désactivé le mouvement »
Ricard admet que c’est aussi l’emprisonnement d’un de ses amis en septembre 2019 qui l’a fortement démobilisé. À l’époque, le verdict du procès des dirigeants indépendantistes est sur le point de tomber et quelques associations indépendantistes comme les Comités de Défense de la République (CDR) ou le Tsunami Démocratique cherchent à remobiliser les troupes en promettant des actions fortes pour l’anniversaire du 1-O. Le 27 septembre, le service d’intelligence espagnol (CNI) organise une macro opération « anti-terroriste » et arrête neuf suspects, notamment à Sabadell.
Après près de quatre mois d’emprisonnement pour « appartenance à un groupe terroriste » et « détention d’explosifs », tous et toutes sont relâchés dans l’attente d’un procès ou d’un non-lieu. Aucun explosif n’a finalement été découvert, selon le rapport d’instruction. Acerbe, Ricard résume son sentiment : « ce n’est pas nouveau, pour désactiver la dissidence il suffit d’en mettre 25 en prison, tu auras ses amis et famille qui organiseront un groupe de soutien, leur priorité sera de le sortir de là. Et voilà, tu auras désactivé le mouvement ».
L'espoir des politiques
Maties Serracant est lui aussi en attente de son procès mais les faits qui lui sont reprochés sont beaucoup moins graves. Maire de Sabadell en octobre 2017, il a été mis en examen pour avoir mis à disposition les bureaux de vote de sa ville pour l’organisation du référendum. Avec lui, 700 autres maires ont été convoqués par la justice. La plupart ont finalement été relaxés.
L’ancien édil attend une réponse de la justice dans les prochains mois. « Je suis confiant. Dans le pire des cas, j’écoperai d’inéligibilité ou d’une amende. Si c’est condamnable de demander aux gens d’exercer un droit fondamental, le droit de vote, alors qu’ils me condamnent ! Au contraire, ce sera une opportunité pour dénoncer les violations des droits par l’État espagnol ».
L’ancien maire aux allures de quadragénaire moderne est retiré de la vie politique depuis la fin de son mandat, en 2019. Géologue de profession, il est entré en politique par l’écologie et a rejoint une liste indépendante, pot-pourri de plusieurs formations municipales de gauche. Après quinze ans d’hégémonie socialiste (le parti socialiste catalan ne revendique pas l’indépendance contrairement à d’autres partis de gauche, ndlr), en 2015, sa formation, alliée à d’autres partis indépendantistes de gauche a finalement obtenu la mairie de Sabadell. Maties devient maire de la ville pour la deuxième partie du mandat, en juillet 2017. Il se souvient du 1-O comme d’un jour historique où la société s’est organisée sans les institutions.
« Je n’ai jamais perdu de vue que la ville n’était pas indépendantiste. Mais une majorité voulait pouvoir voter lors d’un référendum », se souvient-il, encore impressionné de l’énorme mobilisation d’une partie de la population ce jour-là. Lui est aussi allé voter. Il a ensuite fait le tour des bureaux de vote et, évidemment, est passé par l’école Nostra Llar où les verres brisés avaient été ramassés et les urnes commençaient à se remplir.
Pour l’ancien politique, ce jour était « un test, une répétition », pas parce que ce n’était pas réel mais « pour que l’on se rende compte de quelles voies étaient possibles, et que l’unilatéralité était la seule solution. [..] Je me suis aussi rendu compte qu’une partie du gouvernement catalan n’était pas assez préparée pour réaliser cet assaut démocratique », explique celui qui n’a jamais voulu faire carrière en politique.
Entre Aragon et Catalogne : la frontière imaginaire
« Tu as bien de la chance d’être née de l’autre côté de la rivière », m’a dit mon amie Natàlia en 2017. La rivière Algars se trouve à 220 kilomètres de Barcelone et forme une frontière naturelle entre les villages de Catalogne et d’Aragon, dans cette région rurale et isolée. C’est ici que j’ai vécu la plus grande partie de ma vie. Dans un monde où la Catalogne serait indépendante, la rivière Algars formerait une frontière internationale.
En septembre 2017, Natàlia venait d’emménager dans mon village quelques mois plus tôt, après avoir grandi à Barcelone. Même si son père est né dans un petit village près d’ici, et qu’elle a passé tous ses étés dans le coin, elle se définit comme catalane. Mais pour la première fois de sa vie, ce sentiment a commencé à l’angoisser.
La campagne pour l’indépendance catalane et la bulle médiatique qu’elle a créé s’est infiltrée dans les bars, boutiques, banques, et même dans les repas de famille. Alors que je n’étais que spectatrice de ces évènements, Natàlia s’est sentie obligée de choisir entre deux camps. Pourtant, pour elle, il y avait d’autres solutions possibles.
Le pont qui traverse la rivière Algars et qui relie mon village Valderrobres en Aragon, à Arnes en Catalogne, a toujours été un point majeur des revendications indépendantistes dans la région. En novembre 2017, c’est allé plus loin encore quand une ligne blanche a été peinte sur la route au milieu du pont, créant une séparation en plein milieu. Des deux côtés, ce geste a été ressenti comme une volonté de plus de faire sécession. Alors que la campagne faisait de plus en plus de bruit, d’autres graffitis relatifs à l’indépendance sont apparus en nombre.
Pourtant, bien que les deux villages aient chacun leur identité claire et distincte, de solides liens culturels, linguistiques et économiques existent entre les deux. Le catalan par exemple, est notre langue maternelle des deux côtés, ainsi que pour 17 autres villages en Aragon. Les mariages entre aragonais et catalans sont chose commune. Les habitants ont toujours traversé le pont en continu sans aucun problème. Pendant des années, je n’ai pas ressenti le besoin de se séparer.
Quatre ans après le référendum et toute la mobilisation qui l’a entouré, la question s’est lentement évaporée dans notre région. Ce n’est désormais plus le sujet de conversation principal entre les voisins, dans les bars ou dans les boutiques. Je peux toujours voir le drapeau catalan flotter dans le village d’Arnes à chaque fois que j’y passe. Mais pour l’instant, ce symbole n’occupe plus notre attention.
Ce que Maties appelle « assaut démocratique » a été qualifié par la justice espagnole de « sédition ». Un délit pour lequel neuf anciens membres de l’exécutif catalan et leaders associatifs ont été condamnés en 2019, après des mois de préventive, à des peines allant jusqu’à 13 ans de prison. À l’époque, le verdict avait provoqué une semaine de manifestations importantes et de heurts quotidiens dans les rues catalanes.
Le 23 juin dernier, lorsqu’ils ont finalement été graciés par le nouveau gouvernement espagnol socialiste et sont sortis de leur prison respective, rares sont ceux qui se sont déplacés pour les accueillir. Devant la prison de Lledoners où les sept prisonniers masculins ont été incarcérés pendant trois ans, quelques centaines de militants seulement étaient présents autour de la scène installée pour l’occasion. À leur libération, les anciens leaders brandissaient une banderole « Freedom for Catalonia » clairement destinée aux caméras internationales.
Aujourd’hui, Maties se dit ravi de pouvoir de nouveau saluer chaleureusement deux des ex-prisonniers qui résident à Sabadell lorsqu’il les croise dans la rue : l’ancienne présidente du parlement, Carme Forcadell, et Jordi Cuixart, leader de l’association Òmnium Cultural. Pourtant, il ne s’est pas rendu à leur libération. Il a suivi l’événement de chez lui, devant sa télévision.
L’ancien maire reconnaît que, depuis le 1-O, « on est sur une pente descendante et, presque quatre ans plus tard, c’est comme si on n’avait pas réussi à la remonter ». Malgré les nombreux slogans prononcés en 2017 évoquant qu’il n’y avait « pas assez de prison pour tous nous enfermer », Maties rejoint Ricard dans son analyse sur la privation de liberté : « une grande partie du mouvement n’est pas disposée à sacrifier ce qu’il faudrait pour obtenir la liberté (c’est à dire l’indépendance, ndlr) , rares sont ceux qui étaient prêts à aller en prison par exemple ».
Mais il est persuadé que le manque de mobilisation du mouvement indépendantiste est normal et suit une variation logique, sinusoïdale. « C’est comme reprendre son souffle, le mouvement a besoin d’air pour se reconstruire, pour se repenser et je trouve que c’est positif », résume-t-il.
« Je ne connais aucun indépendantiste qui a arrêté de l’être »
Son ancien collègue et prédécesseur à la mairie de Sabadell de 2015 à 2017, Julià Fernández, n’est pas non plus inquiet. Lui est toujours député régional au sein du parti de la gauche indépendantiste d’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya, la gauche républicaine catalane en français). Fort d’un meilleur résultat électoral régional en février dernier qui a permis à son parti de dépasser pour la première fois la droite indépendantiste, il se veut confiant. « Le mouvement est plus fort et mieux qu’avant », assène celui qui porte un pin’s militant sur son gilet de costume.
Il était aussi à l’école Nostra Llar le 1-O même si ce n’était pas son bureau de vote. Il a eu l’intuition qu’il allait s’y passer quelque chose. « Comme la police a cassé mes lunettes en me délogeant violemment, je n’ai qu’un souvenir flou de ce moment », plaisante-t-il. Plus sérieusement, il utilise sa présence ce jour-là pour balayer les reproches de certains militants indépendantistes accusant la classe politique d’inaction.
La démobilisation de la rue ? Anecdotique, selon lui. « Je ne connais aucun indépendantiste qui a arrêté de l’être », répète-t-il. Il n’est pas non plus question pour lui de désunion de la gauche et de la droite indépendantiste dans la région. Le récent accord de gouvernement trouvé in-extremis en mai 2021 est le principal résultat qui vaille. Pour lui et ses collègues, il y a un objectif désormais : « agrandir la base » du mouvement en convainquant un plus grand nombre. Comment ? En prouvant qu’un indépendantiste est capable de gouverner aussi pour ceux qui ne le sont pas.
D’ailleurs, Julià Fernández nous a donné rendez-vous sur cette place de Sabadell dont il se vante particulièrement, dans un quartier où son parti ne dépasse pourtant pas les 10% d’intentions de vote. Ce qui était un énorme rond-point est devenu, sous son mandat, un parc et un espace de jeu pour enfants à la sortie du train de banlieue qui rejoint Barcelone. Ce type d’actions locales pourraient convaincre, selon lui, de plus en plus de votants. D’aucuns y verront peut-être un symbole, ou le hasard de la toponymie : la plus grande fierté de l’ancien maire indépendantiste de la ville n’est autre que la restructuration de la Place d’Espagne.
L'Écosse indépendante, pour aujourd'hui ou pour demain ?
En 2014, j’ai passé tout mon été (celui-ci était particulièrement pluvieux) à faire du porte à porte à Édimbourg. J’essayais, sans succès, de convaincre les gens de voter « oui » au référendum pour l’indépendance de l’Écosse. Beaucoup de mes amis n’étaient pas d’accord. Je les comprends. Moi aussi, je trouve les cérémonies patriotiques, les drapeaux brandis et tout le reste, assez gênant. Les séparatistes durs en Catalogne, qui considèrent qu’ils devraient avoir leur propre État basé sur une langue et un héritage unique, me paraîssent plutôt malavisés. Les nations sont toujours pluralistes, et c’est une bonne chose.
Ceci étant dit, le cas écossais ne tourne pas vraiment autour de l’identité. Il s’agit de remettre en cause l’architecture anti-démocratique du Royaume-Uni. Tous les autres pays européens ont une constitution, qui, bien qu’imparfaite, protège les citoyens des lubies des gouvernements. Le Royaume-Uni n’en a aucune. A la place, on permet à des lords, des avocats et des pairs à vie d’improviser des principes fondamentaux selon des règles non codifiées. Les Écossais protestent contre ce système obscure depuis des décennies. En 1997, nous avons obtenu un parlement décentralisé. Alors pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ?
Je n’ai rien contre les Anglais. Je ne supporte pas les cornemuses. Ne me parlez même pas de haggis. Mais les arguments démocratiques en faveur de l’indépendance ne font que se renforcer. En 2016, l’Écosse a voté à 62% pour rester dans l’UE. Pas un seul quartier n’a soutenu le « leave ». Pourtant, Westminster a imposé le Brexit à tous. Aux dernières élections locales, les Écossais ont rétorqué en donnant une majorité confortable au parti pro-indépendance SNP, ainsi qu’aux Verts. Les militants de longue date comme moi digèrent encore la dernière défaite. Mais avec autant de personnes reprenant désormais nos arguments, une occasion se présente et elle ne devrait pas être gâchée.
*Le reportage à Sabadell s’est déroulé pendant le mois d’août 2021.