Salzkotten, 14 février
J’ai appris dès le plus jeune âge ce que veut dire avoir une ferme. En tant qu’agricultrice, je ne peux pas fermer mon ordi le soir et décréter que la journée est finie. En tant qu’agricultrice, je me lève à 3h si les animaux ne vont pas bien et je ne me repose pas tellement plus en période de moisson. En tant que fille d’agriculteur, je ne suis jamais partie en vacances avec ma famille.
Nous avons une ferme avec 100 truies, 500 cochons et quelques champs arables : du colza, du blé et de l’orge pour les animaux. J’ai grandi là-dedans, mais j’ai envisagé très tard d’y travailler. C’est seulement après le lycée que je me suis dit que je voulais devenir fermière. Je ne voulais pas d’un travail de bureau.
La ferme, c’est dans nos gènes. Mon père est fermier. Mon grand-père l’était aussi et continue à travailler avec nous de temps en temps. Mon frère est en train de rédiger son mémoire en sciences et technologies de l’agriculture et travaille sur l’exploitation. C’est donc une ferme à la gestion assez masculine.
Mais j’étudie aussi l’agronomie et dès que j’ai le temps, j’aide par exemple à castrer les porcelets, nettoyer la grange ou labourer les champs. Je donne un coup de main là où il y a besoin. Et je parle beaucoup de la ferme avec mon père. Il nous demande souvent notre avis à mon frère et à moi.
Ça a par exemple été le cas pour la nouvelle régulation de 2021 qui demande plus d’espace pour les cochons. Chaque truie doit désormais disposer de cinq mètres carrés. Et notre porcherie doit comporter un espace extérieur. Ça coûte très cher et ça prend du temps de faire ce type de travaux. Avec mon père, nous discutons donc des différentes options : agrandir la porcherie ou diminuer le nombre de truies.
Depuis la fin de l’année dernière, il y a autre chose que je fais pour la ferme : je participe aux manifestations d’agriculteur·ice·s dans ma région et à Berlin avec mon père. La première fois, c’était à Paderborn, à côté de là où j’habite. Nous sommes parti·e·s de la ferme à 8h pétantes avec deux tracteurs. Nous sommes passé·e·s prendre des ami·e·s dans les villages alentour. Puis nous avons organisé un convoi jusqu’au point de rendez-vous, le stade de Paderborn.
Je me disais : les tracteurs ne vont jamais s’arrêter. Il y en avait toujours plus qui arrivaient. Toutes celles et ceux qui avaient le temps étaient là. Je me suis sentie fière à la vue de tous ces gens. Il y avait une grande cohésion.
Avec environ 1 000 participant·e·s, nous avons fait un aller-retour sur l’autobahn B1. Les tracteurs ont bloqué cet axe pendant un temps. Les gens sur les côtés nous félicitaient en levant le pouce. J’avais l’impression de faire quelque chose d’important.
Dans les reportages sur les manifs, il a beaucoup été question de la récupération du mouvement par l’extrême droite. Je me tiens à l’écart de tout ça. Je pense que c’est stupide et assez injuste qu’iels détournent l’attention de nos demandes de cette façon. La contestation a pour but de faire entendre les préoccupations de toute une profession, pas de faire tomber le gouvernement.
Moi, je manifeste en particulier pour exiger plus de visibilité. De nouvelles réglementations sont constamment introduites. On ne peut pas suivre. Le processus est souvent très bureaucratique et, nous, on se retrouve seul·e pour la mise en place.
Pouvoir prévoir, c’est très important pour moi, en tant que jeune fermière. Si on investit beaucoup d’argent pour les travaux de la porcherie, mais que dans trois ans de nouvelles mesures font que ce n’est de nouveau plus aux normes, alors ça ne vaut plus le coup pour nous. Personne ne peut se permettre de constamment reconstruire sa ferme ! Si je dois arrêter l’activité dans dix ans parce que ce n’est plus rentable, alors ça ne sert à rien que j’étudie les sciences de l’agriculture aujourd’hui.
Les agriculteur·ice·s manifestaient déjà en 2019 – il était à l’époque question de nouvelles règles plus strictes sur la limitation des fertilisants. J’ai le sentiment que rien n’a changé depuis. Ce serait bien que quelqu’un qui a un élevage ait son mot à dire au niveau politique.
Comme mes collègues, je chéris les animaux que nous avons à la ferme. Qui ne rêve pas de faire de sa passion une carrière ? Bien sûr, le métier est épuisant, mais quand je vois les plantes céréalières que j’ai plantées sortir de terre, je ressens quelque chose de très spécial. Je veux faire ce travail toute ma vie. Je veux avoir un futur en tant qu’agricultrice. Mais je ne sais pas ce dont ce futur sera fait.
Vivienne
Vivienne a grandi dans la ferme familiale en Rhénanie du Nord-Westphalie, en Allemagne. Elle étudie les sciences et technologies de l’agriculture pour devenir fermière comme son grand-père, son père et son frère. Mais elle s’inquiète du futur des agriculteur·ice·s allemand·e·s.