Tbilissi, 25 juillet
La colère est un instinct nécessaire, car elle te dicte quoi faire. Ce sentiment bouillonne en moi depuis des années.
Quand la Russie a envahi la Géorgie en 2008, je n’étais qu’une enfant, mais je me souviens très bien du chaos qui a régné ces cinq jours et des conséquences. Je me souviens de la violence. Je me rappelle que j’avais très peur et que je ne me sentais pas en sécurité.
Puis il y a eu le 17 mai 2013. Un groupe d’activistes LGBTQI et allié·e·s s’était réuni à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. L’Église orthodoxe géorgienne avait, elle, mobilisé beaucoup d’hommes et de groupes violents et haineux. Ils avaient pour ordre de protéger la dignité de leurs pays. Et au nom de cette mission, ils ont attaqué le van où se trouvait cette dizaine d’activistes, à coup de pierres et de bouteilles.
J’avais quinze ans à l’époque et j’ai tout vu en direct à la télé. Les gens autour de moi, à l’école, justifiaient la violence. Ça a apporté une nouvelle pierre à l’édifice de colère que je construisais en moi.
Ce sentiment a tellement grandi que ça m’a poussé à contribuer à la construction d’un environnement où rien de tout cela ne pourrait arriver à qui que ce soit.
En avril 2024, notre gouvernement a réintroduit la loi sur les agents étrangers. Ce texte oblige les organisations de la société civile, les organisations non gouvernementales, y compris les médias indépendants, qui reçoivent plus de 20% de leurs financements de l’étranger, comme c’est le cas pour la plupart d’entre nous, de s’enregistrer comme “représentant d’intérêts étrangers”. Et cette loi ne dit pas qui de ces agents étrangers seront considérés comme des ennemis ou des amis.
Mais c’est dirigé contre nous, les assos et ONG qui travaillons avec des communautés marginalisées. Ça fait des années qu’ils nous diabolisent. Ils nous ont traité·e·s d’extrémistes. Ils nous ont accusé·e·s de faire de la propagande. Ils nous ont appelé·e·s traîtres à la nation.
Aujourd’hui, nous nous sentons menacé·e·s, mais nous n’avons pas peur. Nous n’allons pas agir comme des agents étrangers, car ce n’est pas ce que nous sommes. Nous n’allons pas les aider à nous stigmatiser encore plus. J’ai compris que c’était la marche à suivre pour faire tomber le régime. Donc je vois cette étape comme une période difficile à passer jusqu’à ce que les choses s’améliorent.
Ana
Ana a 27 ans et vit à Tbilissi en Géorgie. Elle travaille comme chargée de développement pour GrlzWave, une organisation queer féministe, pour le Shame Movement, le plus grand mouvement de la société civile du pays et pour Tbilisi Pride. Les trois organisations ainsi qu’Ana et ses collègues risquent d’être labellisé·e·s “agents étrangers” depuis que le gouvernement a adopté une copie d’une loi répressive russe, en avril dernier. Elle raconte son combat contre cette loi.