Mġarr, le 8 mai
J’appartiens à une longue lignée de fermiers. J’ai repris la ferme de mon père avec mon frère en 1993. Et j’ai vu le climat changer. Celles et ceux qui nient encore l’existence d’une crise climatique ne vivent pas dans le vrai monde.
Cette année, à Malte, on a eu un hiver très doux, et en mars des pics de chaleur à près de 30 degrés. Ce n’est pas habituel, ça perturbe tout l’écosystème. De plus, il n’a pas plu entre mi-février et fin avril. Pas de pluie pendant deux mois et demi…
Je me souviens quand j’étais petit, en hiver, nous allions dans les champs avec mon père et parfois nous revenions mouillés. À cette période de l’année, il pouvait pleuvoir deux ou trois jours d’affilée, d’une pluie douce et lente, une pluie agréable. Aujourd’hui, deux jours de pluie, c’est très rare. À vrai dire, ça n’arrive plus.
Je tiens des relevés des niveaux pluie depuis 2013. Cette année, nous n’avons eu que 247 millimètres de pluie, alors que la moyenne pour Malte est de 550. On a 200 millimètres de retard, c’est très problématique ! Et encore, on est dans l’une des régions du pays où il y a eu le plus de pluie. Dans d’autres endroits, il n’y a eu que 227 millimètres : un vrai désastre !
Aujourd’hui, les fermiers et les fermières sont désespéré·e·s par le manque d’eau disponible pour l’irrigation de leurs cultures.
Dans les années 1990, tout le monde avait un puits et puisait son eau sous terre. C’était gratuit, alors on pompait, on pompait, on pompait… Sauf que Malte, c’est une île, un pays entouré par la mer, et donc dans nos forages on a fini par capter de l’eau salée, ce qui n’est pas bon pour les cultures. À présent, on ne peut pas en demander plus à nos sous-sols pour répondre à nos besoins en eau.
Pour faire face à la pénurie, le gouvernement a mis au point un système de réutilisation des eaux usées. Cette “Nouvelle Eau”, comme on l’appelle, est filtrée par différents moyens et ensuite redistribuée aux agriculteur·ice·s. C’est une super alternative pour continuer à avoir de l’eau dans le futur malgré les sécheresses. Mais pour l’instant, ce n’est pas encore complètement au point. À l’heure actuelle, ça ne permet pas du tout d’avoir de l’eau disponible en continu.
Sur notre exploitation, ce qui nous permet de tenir, ce sont nos réservoirs. Sous nos serres, nous avons des réservoirs d’une capacité de 4,5 millions de litres. Nous y collectons toute l’eau que nous pouvons, dès qu’il pleut ou qu’il y a de l’eau accessible par d’autres moyens. En temps normal, ça nous permet d’avoir un mois et demi de ressource d’avance – un vrai sas de tranquillité – mais là, comme il n’a pas beaucoup plu, nos réservoirs sont presque vides !
Ces installations coûtent très cher. Nous avons pu investir parce qu’on est une ferme familiale et qu’on a touché des subventions de l’UE, mais tout le monde n’a pas cette chance. À côté de nous, il y a deux jeunes frères, d’à peine 25 ans, qui eux ne dépendent que de la New Water du gouvernement. Ça fait deux semaines qu’ils n’ont pas eu d’eau, ils ont déjà perdu des plantations.
Quoi qu’il arrive, nous avons besoin de la pluie ! Elle est vitale. Elle maintient tout l’écosystème de notre territoire. Sans elle, la composition de la terre se modifie, elle devient très pauvre, sableuse, elle s’envole avec le vent. En gros, avec plusieurs années comme celle-ci, notre pays deviendrait une île semi-désertique. Donc j’espère que l’année prochaine sera bonne !
Moi, j’ai 56 ans, mais je me mets à la place des jeunes et ça m’inquiète pour eux. Dans cet environnement, en plus de tous les problèmes économiques auxquels ils font face, j’ai peur que cette profession s’éteigne.
Si les fermiers et fermières abandonnent, tout notre paysage va changer. Il y aura de nombreux champs en friche. En temps de sécheresse et de fortes chaleurs, des champs abandonnés, ce serait des risques d’incendie encore plus élevés pour le pays. L’agriculture c’est juste 1% du PIB de Malte, mais essentiel au maintien de notre environnement.
Joseph
Joseph a 56 ans. Il descend d’une longue lignée de fermiers maltais. À cause du changement climatique, il a dû modifier le rythme de ses plantations, mais surtout investir dans d’immenses réservoirs pour faire face à la sécheresse qui frappe le pays. Ce qui ne l’empêche pas d’être inquiet pour l’avenir de la terre de l’île et de ses cultivateur·ice·s