window.dataLayer = window.dataLayer || []; function gtag(){dataLayer.push(arguments);} gtag('js', new Date()); gtag('config', 'G-XZCLKHW56X'); Comment les feux de forêt et le réchauffement climatique assombrissent l'avenir de la Sicile - Ereb

Comment les feux de forêt et le réchauffement climatique assombrissent l’avenir de la Sicile

20/12/2021

Journalist and photographer:

Davide Mancini

À l’heure où deux tiers de la Sicile sont menacés de désertification, les montagnes de la plus vaste île italienne, elles aussi, subissent aujourd’hui des changements irréversibles. Les habitants des Madonies font face à des incendies sans précédent, provoqués par l’homme et attisés par les vagues de chaleur comme celle de l’été dernier. Par le passé, ces zones offraient la glace nécessaire à la production de la célèbre glace sicilienne. Aujourd’hui, ses habitants et travailleurs sont confrontés au changement climatique, souvent abandonnés par la politique.

En novembre, le paysage frais et vert des pâturages des Madonies rappelle celui des Alpes. Pourtant, il a en partie été été réduit en cendres à l’été 2021 pendant la vague de chaleur Lucifer. Des incendies ont sévit dans toute la Méditerranée orientale, de la Turquie à la Grèce, et au sud de l’Italie. Les prairies autour de la ferme « ont brûlé comme de la paille », raconte Antonio Raspante, dont la famille possède un élevage bovin. Il montre nerveusement le périmètre de la propriété dont les clôtures sont calcinées. « Je n’avais jamais vu un feu de cette ampleur ». Il prend le temps de décrire les conséquences des flammes, qui ne sont plus aussi évidentes à la fin de l’automne, mais non moins affligeantes. À la mi-août, le noir charbon et le gris cendré ont teinté à perte de vue les flancs de la vallée et le versant sud des Madonies. Ils ont recouvert les fermes, granges et habitations jusqu’au-delà de l’orée du bois à plus de 1 400 mètres d’altitude.

Antonio Raspante a 74 ans. Il vit ici depuis 1965, année où il a quitté Palerme pour se consacrer à l’élevage de bovins sur les terres de sa famille, dans la ferme du début des années 1900. Aujourd’hui, ses filles poursuivent l’activité d’élevage de vaches et de veaux sur d’immenses pâturages vierges. « Si elles ne s’étaient pas investies dans l’activité, j’aurais abandonné cette fois-ci. Je n’aurais pas eu la force de faire face à tout ça. » Le visage d’Antonio tente de cacher sa voix brisée. Il a la voix d’un homme au caractère fort et noble, qui, bien qu’ayant formellement cessé de travailler, ne dort plus sur ses deux oreilles. Il ne pense à rien d’autre qu’à comment empêcher que cela ne se reproduise.

Les vaches qui ont survécu sont sur la voie de la guérison du traumatisme provoqué par les feux. Même si certaines d’entre elles ont mis bas, elles n’ont pas pu produire de lait sain après le choc. Ce qui a causé la mort des veaux. D’autres vaches ont eu les mamelles endommagées par le feu. Ces dégâts ne peuvent pas être indemnisés parce qu’ils ne sont pas directement imputables aux incendies. Ils représentent pourtant une perte économique conséquente.

L’activité familiale d’Antonio a perdu un quart de ses animaux. Sur un total de quatre-vingts vaches, cinq sont mortes carbonisées. Quinze autres ont été gravement blessées. Dans la panique, elles ont essayé de briser les clôtures par la force. Elles ont ensuite été abattues pour leur épargner une agonie inutile. « Nous avons traité les mamelles et les pieds des vaches avec des crèmes, mais dans certains cas, les blessures étaient trop graves ». La partie inférieure du corps des animaux a été la plus touchée parce que la terre était devenue incandescente, et ils ne savaient plus où se réfugier. Les flammes et la fumée empêchaient de localiser les animaux en proie à la panique. Il était impossible de les sauver. Les photos que montre la famille d’Antonio sont dures à regarder. Les mamelles et les pieds noirs causés par les brûlures dans les cas les plus graves sont éloquents : rien ne pouvait être fait pour les sauver.

  • La famille d’Antonio a perdu 5 vaches sur 80. 15 d’entre elles ont été blessées dans les incendies, et 15 ont dû être abattues. © Davide Mancini

  • Antonio Raspante, surnommé « il cavaliere » (le cavalier) par les habitants de la zone, a passé près de soixante ans de sa vie dans les Madonies.

  • La famille d’Antonio a perdu 5 vaches sur 80. 15 d’entre elles ont été blessées dans les incendies, et 15 ont dû être abattues. © Davide Mancini

  • La famille d’Antonio a perdu 5 vaches sur 80. 15 d’entre elles ont été blessées dans les incendies, et 15 ont dû être abattues. © Davide Mancini

D’autres animaux ont également souffert de l’incendie, comme l’explique Marilina Barreca, responsable provinciale de Coldiretti, principale association d’agriculteurs italienne. « Les abeilles domestiques de cette région ont fui et ont été perdues. Les ruches ont brûlé. Un coup dur pour la production locale de miel ». Également agricultrice et gérante d’une ferme, Marilina explique que ses animaux de pâturage ne peuvent plus utiliser la partie boisée où ils avaient l’habitude s’abriter de la pluie et du froid en hiver. Son entreprise a été contrainte d’arrêter les investissements prévus pour augmenter le nombre de vaches laitières.

L’incendie qui a ravagé les Madonies s’est déclenché en plusieurs endroits, puis s’est transformé en un seul gros feu. Comme la plupart des feux sur l’île, son départ était volontaire, un acte intentionnel et planifié qui fait l’objet de plusieurs hypothèses. La population locale parle de ces incendies comme étant « criminels », mais on ne sait pas exactement qui en est responsable. Les Madonies constituent une zone historiquement associée à Cosa Nostra, la mafia sicilienne. Ces dernières années, certains clans ont tenté de se réorganiser et de reprendre le pouvoir. En discutant avec les habitants de ces villages, on a le sentiment que tout le monde veut se libérer de l’emprise du crime organisé. Pourtant, pour l’instant, aucune enquête ne semble être en cours.

La crise climatique vient en tout cas s’ajouter aux conditions déjà difficiles des zones rurales du sud de l’Europe, et à une économie fragile fortement basée sur l’agriculture, exerçant une pression importante sur le tissu social. Les sécheresses estivales augmentent d’année en année, de même que les vagues de chaleur comme celle qui a sévi dans le sud-est de la Méditerranée, et alimenté les incendies. L’aridité de la végétation et du sous-bois menace gravement l’ensemble du paysage. Tous ces facteurs créent des conditions propices à des incendies d’une ampleur sans précédent dans la région. Ces phénomènes observés aujourd’hui dans le sud du continent affecteront également l’Europe centrale dans quelques années.

Connecting the dots

Stephanie Brancaforte:

Directrice en Italie de Change.org. Elle a travaillé auparavant pour Greenpeace, Avaaz, Amnesty International, et la Cour pénale internationale.

« Nous avons besoin d’une stratégie pour protéger nos terres et mettre un terme au non-respect de la loi »

J’ai essayé de contrer la crise climatique pendant une grande partie de ma vie professionnelle, y compris en dirigeant les efforts de Greenpeace pour le climat mondial. Je ne peux toutefois m’empêcher d’être troublée lorsque les incendies en Sicile sont principalement associés au climat, quand la grande majorité des feux, en tout cas plus de 80 %, sont intentionnels. Cet été, des criminels ont délibérément essayé de mettre le feu aux réserves naturelles de Cavagrande et de Pantalica jour après jour jusqu’à ce qu’ils réussissent à provoquer des flammes dévastatrices. Ces réserves se situent dans le sud-est de la Sicile et comprennent également un magnifique site archéologique de l’Âge de Bronze.

Quelques bergers ont été arrêtés pour avoir créé des pâturages en brûlant des zones forestières, mais l’ampleur et la fréquence sans précédent de ces incendies découlent d’un plan bien plus organisé. Les dynamiques peuvent varier d’une partie de l’île à l’autre, mais dans certaines régions, les bergers mafieux déclenchent des incendies pour étendre les pâturages ou pour favoriser la repousse d’herbes comestibles, ce qui entraîne une désertification rapide des terres. Les intérêts spéculatifs, probablement attirés par les dizaines de milliards d’euros destinés à la Sicile par le Plan de relance européen, pourraient entraîner la mise à feu des terrains pour pouvoir racheter les terres calcinées à un prix plus bas et pour différentes utilisations. Tandis que la loi italienne n°353 promulguée en 2000 prévoit l’interdiction de vendre des terres calcinées pendant 10 ans, on craint que les municipalités ne recensent pas les feux, ou n’appliquent pas cette loi. Il existe également des théories selon lesquelles les feux seraient déclenchés pour discréditer le Corps forestier d’État italien, et entraîner la privatisation de la gestion des terres et des parcs siciliens.

Le Sénat italien a proposé la création d’une force de police dédiée à la forêt et à l’environnement pour renforcer les enquêtes. Nous sommes cependant toujours en attente d’une suite à cette proposition.

Ces dernières décennies, la majorité des fonds relatifs à la gestion des incendies était utilisée pour la prévention des feux. Désormais, les incitations et leurs montants ont changé. Les systèmes de prévention ont été supprimés et des entreprises privées supervisent aujourd’hui le pilotage des avions et hélicoptères nationaux dédiés à l’extinction des incendies. Ces entreprises, déjà mises en examen pour fraude et collusion, gagnent précisément de l’argent grâce aux feux de friches. Plus le nombre de feux incontrôlés est important, plus ces entreprises gagnent de l’argent. En 2020, les contribuables ont payé des dizaines de millions d’euros de plus que si les avions étaient gérés par l’État. Suite à ce constat, le journal Il Megafono a lancé une pétition pour nationaliser la gestion de ces vols.

Nous devons absolument neutraliser nos émissions de gaz à effet de serre. Mais nous avons besoin d’une stratégie distincte pour protéger nos terres et mettre un terme au non-respect de la loi qui conduit notre futur droit dans les flammes, et qui est très certainement rendu possible par les acteurs et contrats étatiques.

Des conditions inquiétantes

Selon les prévisions, 70 % de la plus grande île d’Italie serait menacé de désertification. Il s’agit principalement des zones intérieures et méridionales. Le massif des Madonies et les Nebrodi attenants, qui forment les montagnes du nord de l’île, représentent avec le volcan Etna le dernier rempart vert qui peut garantir l’approvisionnement en eau de la région. Ils constituent le poumon vert de l’île, où naissent les sources qui approvisionnent l’intérieur aride de la région. 

Pendant quatre siècles, les Madonies ont servi de site de stockage de la glace qui servait à préparer la célèbre glace sicilienne. Avant l’invention des machines, la neige d’hiver était stockée sur ces sommets, dans des fossés creusés dans la montagne. Elle était tassée pour créer des blocs de glace, qui étaient ensuite coupés par les nevaioli (chercheurs de neige), du printemps à la fin de l’été. Les blocs étaient ensuite transportés le plus rapidement possible, de nuit, à dos de mulet, vers les villages voisins ou vers d’autres zones siciliennes, en longeant la côte jusqu’à Palerme, à 85 km de distance. Des glaces et des granite étaient ainsi préparés, mais la glace était également utilisée à des fins médicales. Depuis quelques années, cependant, le puits à neige Principessa, le plus célèbre puits de stockage à 1 880 mètres d’altitude, ne permet plus de conserver la neige jusqu’en été.

Les sécheresses en Méditérranée sont de plus en plus longues et les pluies souvent torrentielles. « J’étais là l’après-midi de début août lorsque les flammes se sont élevées de Gangi (à 5 km à vol d’oiseau). Il faisait anormalement chaud, avec des températures avoisinant les 42 °C. La végétation, y compris les pâturages, était sèche depuis deux mois. Avec le sirocco qui soufflait fort, la ligne de feu avançait rapidement vers nous. Je savais que ça allait arriver ». Certaines des vaches ont été mises à l’abri, le gendre d’Antonio et les employés ont essayé de creuser un sillon dans le pâturage pour empêcher les flammes de passer, en vain. Ils se sont alors enfermés dans la ferme en attendant que ça passe. Après environ une demi-heure, le paysage environnant était totalement calciné.

  • Des arbres brûlés morts sont abattus afin d'éviter des chutes dangereuses, et pour permettre la reforestation. © Davide Mancini

  • Une partie des forêts brûlées par les incendies de l'été 2021. Tous les arbres sont morts et ont dû être abattus pour des raisons de sécurité et pour reforester. © Davide Mancini

  • Des forêts brûlées dans le parc national des Madonies. En hauteur, une station de surveillance des feux est abandonnée. On aperçoit le pizzo Carbonara en arrière plan. © Davide Mancini

  • Sur cette vue du pizzo Carbonara, les terres vides illustrent ce à quoi les montagnes sont vouées à ressembler si l'érosion des sols fertiles devient irréversible. © Davide Mancini

Dans ce qui ressemble désormais à un pâturage normal, où les vaches qui ont survécu ont toujours l’air agitées, les conséquences de l’incendie sont à peine perceptibles. Il manque en revanche les clôtures, qui ont brûlé. Les trois employés s’occupent à replanter des poteaux de bois sur 300 hectares de terrain accidenté, qui n’est pas toujours accessible aux voitures. L’herbe qui vient de pousser est encore trop courte pour être mangée par les vaches, et l’hiver, qui arrive à grands pas, va freiner sa croissance. Les animaux doivent donc manger du foin venant d’autres zones de la Sicile. Ce manque de nourriture pour le bétail a été la première urgence à laquelle il a fallu faire face, immédiatement après l’incendie. Des bottes de foin ont été offertes par d’autres agriculteurs siciliens et par des régions voisines, mais également grâce à une campagne de crowdfunding. « La solidarité et la coordination entre les agriculteurs de la région et du reste de l’île ont été extraordinaires. Les dons ont permis à ceux qui avaient tout perdu d’acheter du foin. Une contribution importante a également été apportée par l’évêque de Cefalù ».

« J’ai vu des feux toute ma vie, mais jamais de cette ampleur »

La famille d’Antonio ne représente qu’un exemple parmi les nombreux agriculteurs de cette vallée qui ont été dévastés par les événements de cet été, et qui doivent faire face aux effets à long terme des incendies. À cela s’ajoute le choc collectif vécu par l’ensemble de la communauté. L’incendie a atteint les petits villages des Madonies. De nombreuses personnes ont été évacuées par sécurité, comme à Petralia Soprana, Gangi et Geraci Siculo, des villages médiévaux qui comptent parmi les plus beaux d’Italie, et dépendent presque entièrement de l’agriculture et du tourisme. Les incendies en Europe méditerranéenne ne sont pourtant pas un phénomène exceptionnel, mais font partie intégrante de son écosystème.

  • Les employés de l’exploitation agricole d'Antonio installent de nouvelles clôtures pour remplacer celles détruites par l’incendie. © Davide Mancini

  • Paysage typique des Madonies, avec une vue sur le village de Geraci. Les incendies sont arrivés tout près du village, dont l'économie est basée sur l'agriculture et le tourisme. © Davide Mancini

  • Les vaches d'Antonio Raspante sont nourries avec du foin, comme il n'y a plus de quoi pâturer. © Davide Mancini

La crise climatique modifie le climat en Méditerranée plus rapidement que dans toute autre région du monde, avec une hausse des températures 20 % supérieure à celle du reste de la planète. L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des incendies en est une conséquence, indépendamment de l’origine criminelle ou non des feux. En Sicile, il a fait jusqu’à 48,8 °C pendant la vague de chaleur Lucifer, soit la plus haute température jamais enregistrée en Europe. Selon le groupe de recherche de la Commission européenne pour la surveillance des incendies en Europe (EFFIS), l’Italie a perdu 158 000 hectares en 2021 (soit l’équivalent de la zone urbaine et périurbaine de la ville de Londres).

La Sicile est de loin la région la plus marquée par les incendies en 2021, puisque la moitié de sa superficie a été touchée. Cependant, les feux dans cette région ne sont pas une nouveauté. Antonio raconte : « J’en ai vu toute ma vie, mais jamais de cette ampleur ». Parallèlement, la hausse de la température de la mer Méditerranée entraîne l’augmentation des épisodes de précipitations extrêmes. Les cyclones subtropicaux méditerranéens, comme celui de Catane survenu en octobre, en sont le parfait exemple. Ces cyclones réunissent la force et les caractéristiques des ouragans et provoquent des inondations soudaines et dévastatrices. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, de fortes pluies concentrées sur une courte période de temps accélèrent le processus de désertification en entraînant les couches du sol fertiles vers les fleuves, et par conséquent vers la mer. Le même phénomène est observé lorsque de fortes pluies s’abattent sur des montagnes dévastées par le feu.

« Cinquante ans de politiques de reboisement gâchées en une journée »

« La pluie tombée ces dernières semaines n’a pas bénéficié aux zones touchées par l’incendie, car la terre ne réussit pas à absorber l’eau en si peu de temps ». Gaetano La Placa, ingénieur forestier, est chargé de la protection et du repeuplement d’une variété de sapin endémique de cette région : l’Abies nebrodensis, aussi appelé sapin de Sicile. Aujourd’hui, il ne reste que 30 spécimens adultes. Outre les exploitants agricoles comme la famille d’Antonio, le parc des Madonies a lui aussi subi d’énormes pertes. Gaetano travaille pour le projet Life4Fir, qui s’inscrit dans le programme LIFE, financé par l’Union européenne et coordonné par le Conseil national de la recherche italien. Dans le parc, il est occupé à réaliser un contrôle : il analyse l’effet du feu sur les spécimens de sapins, indigènes ou exotiques, dans la partie boisée du parc. « Cinquante ans de politiques de reboisement ont été gâchées en l’espace d’une journée », affirme Gaetano. Il a apporté des instruments de mesure et un carnet pour comptabiliser les sapins brûlés. Il est visiblement abattu en voyant l’étendue des dégâts causés par l’incendie. Heureusement, le feu n’a pas tué tous les arbres et cela lui donne un peu d’espoir. Gaetano indique les différents types d’arbres du parc : ceux qui sont indigènes et ceux qui ont été plantés auparavant, lorsqu’il n’y avait pas encore d’aménagement forestier adapté.

Gateano connaît parfaitement ces montagnes, c’est ici qu’il est né et a grandi. Il est déterminé à conserver le patrimoine de cet écosystème mis à mal par un climat anormal et par les activités humaines. Ces deux facteurs peuvent littéralement dénuder les montagnes, comme c’est le cas au sommet du Pizzo Carbonara visible à l’horizon. L’incendie a brûlé 5 % du parc des Madonies, soit environ 2 000 hectares. La zone se trouve du côté opposé à la vallée où s’étendent également les terres de la famille d’Antonio. « Chaque arbre est unique. Certaines espèces sont pyrophytes comme les pins noirs, c’est-à-dire qu’elles peuvent se régénérer et se développer facilement après un feu. Elles contiennent une résine hautement inflammable. Ce sont des plantes qui se rétablissent plus rapidement que d’autres espèces indigènes qui ont un cycle de vie plus lent », explique Gaetano. Le sapin de Sicile, qui croît beaucoup plus lentement que les pins noirs, fait partie de ces espèces indigènes.

Malheureusement, l’incendie a également brûlé une parcelle proche de la commune de Geraci Siculo qui servait de pépinière naturelle pour 30 sapins de Sicile de 10-15 ans. Ils  auraient dû se reproduire et repeupler toute la zone. La lutte de Gaetano, et de tout le projet Life4Fir pour la conservation des arbres autochtones siciliens est encore une fois entravée par les changements extrêmes du climat.

  • Gaetano La Placa dans le parc des Madonies, observe et contrôle les dégâts causés par l’incendie sur les sapins. © Davide Mancini

  • Gaetano La Placa dans le parc des Madonies, observe et contrôle les dégâts causés par l’incendie sur les sapins. © Davide Mancini

Du point de vue de la biodiversité, les montagnes des Madonies sont comme une petite île alpine en Méditerranée, progressivement submergée par un climat variable. Pour cette raison, les espèces cherchent à s’adapter autant que possible, mais toutes n’y parviennent pas. Le hêtre, arbre qui a toujours poussé à cette altitude, commence à se déplacer vers une altitude supérieure, à la recherche d’un environnement plus adapté. Sur le mont Etna, cette plante a déjà migré à 2 000 mètres. Les montagnes des Madonies étant plus basses, le hêtre risque de disparaître de cette région. Les crêtes du Pizzo Carbonara, le sommet le plus haut des montagnes des Madonies, à 1 979 mètres, sont dénudées, sans aucun arbre. La couche de terrain fertile a disparu depuis des générations, érodée par la pluie et le vent. Mais également par les hommes qui, pendant des siècles, ont prélevé le meilleur bois de ces forêts pour le transformer en combustible ou en matériau de construction.

La biodiversité en danger

Par un matin brumeux qui enveloppe les arbres brûlés, Laetitia Bourget se dirige vers l’entrée du parc. L’atmosphère est spectrale. « La Rosalie des Alpes est un coléoptère rare qui raffole des vieux hêtres en altitude et qui est menacé d’extinction pour les mêmes raisons climatiques. En Sicile, nous avons les hêtres les plus au sud de tout le continent. Ici, cet arbre ne pousse qu’à partir de 1 300 mètres d’altitude, alors qu’au nord de l’Europe certains spécimens se développent déjà au niveau de la mer. C’est une espèce qui a besoin de froid ». Laetitia Bourget est française et a déménagé en Sicile il y a douze ans. Elle est guide naturaliste et travaille dans le parc aux côtés de son compagnon Mario. Ensemble, ils présentent aux intéressés les beautés du parc, devenu désormais une véritable destination touristique. Laetitia est tombée sous le charme du paysage et de la culture sicilienne. Et elle n’est pas la seule : même les Siciliens habitant les villes voisines, comme Palerme, veulent redécouvrir ces montagnes.

  • Laetitia Bourget est guide naturaliste. Elle vit à Castelbuono, dans les montagnes des Madonies. © Davide Mancini

Laetitia confirme que les incendies ont eu un énorme impact : « Pas seulement pour les grands animaux sauvages, mais surtout pour la population des insectes qui ne peuvent pas se déplacer rapidement. Leur disparition, même si elle est moins évidente, a d’importantes répercussions sur l’écosystème tout entier ». Certaines espèces sont endémiques de cette région et risquent de disparaître avec le changement du climat. Laetitia est bénévole pour l’EBMS, le  système de surveillance européen des populations de papillons (European Butterfly Monitoring System), une base de données européenne à laquelle elle rapporte des informations sur les espèces locales. La présence ou l’absence de certains papillons agit comme un indicateur de l’état de santé de l’environnement. « Les espèces Parnassius, Polyommatus et Hesperia vivent à partir de 1 600 mètres d’altitude. La hausse des températures réduit toujours plus la zone où ces espèces peuvent trouver le bon habitat (et en particulier leurs plantes hôtes). Un jour ou l’autre, ils ne pourront plus monter en altitude », regrette Laetitia.

Le compagnon de Laetitia, Mario, est né et a grandi à Castelbuono, une autre commune des Madonies. À coté de son travail de guide touristique, il se consacre à l’extraction de manna. Il s’agit d’une sève issue du frêne qui est utilisée comme édulcorant naturel. C’est une tradition qui se transmet depuis des millénaires. Les Grecs et les Romains la surnommaient « miel de rosée » ou « sécrétion des étoiles ». L’extraction se fait par des incisions sur le tronc des arbres pendant l’été et la récolte est très sensible aux fluctuations météorologiques. Ils sont seulement une vingtaine de producteurs dans la région. L’incertitude à laquelle ils doivent faire face en été, entre la chaleur excessive qui bloque la sève et les pluies soudaines qui dissolvent la manna, menace toujours plus les récoltes.

  • Un arbre mort, dans le brouillard du matin. © Davide Mancini

  • Sans les arbres et la végétation, l'eau coule plus rapidement dans les rivières torrentielles, et n'est pas absorbée par le sol © Davide Mancini

  • © Davide Mancini

  • © Davide Mancini

Bien qu’il soit désormais à la retraite et que les familles de ses deux filles aient repris le travail de l’exploitation, Antonio ne s’éloigne jamais de la ferme et de l’élevage. « L’évaluation des dommages économiques et du travail nécessaire pour se rétablir prendra des années : ce n’est pas comme changer un ordinateur défectueux ». Le travail de l’exploitation, pour l’instant, continue malgré le choc subi. Une nouvelle génération d’agriculteurs cherche à perpétuer le savoir ancien qui permet de vivre en harmonie avec les rythmes naturels. Savoir interpréter le climat dont dépendent les cultures et les élevages fait partie de ce défi. Cependant, le climat des prochaines années ne semble pas destiné à se stabiliser. Les agriculteurs des Madonies seront obligés de s’adapter aux températures exceptionnelles et aux incendies fréquents. Les personnes qui ont quitté les villes pour vivre et travailler dans les zones rurales, comme Antonio il y a une soixantaine d’années, sont de plus en plus rares. Mais Antonio continue de parler de ses chères Madonies, dont il a observé les changements tout au long de sa vie, avec la même passion et le même intérêt qu’au premier jour.

 

Connecting the dots

Marine Leduc:

membre d'ereb et journaliste indépendante entre la France et la Roumanie

En Roumanie, un désert qui s’agrandit

À la place des forêts de robiniers et des prairies luxuriantes qui bordaient le Danube, le « Sahara de l’Olténie », dans le Sud de la Roumanie, a recouvert la zone d’un sable fin sur plus de 800 kilomètres carrés.

En première cause, des politiques d’agriculture intensive sous le communisme qui ont fait abattre des arbres et drainé des lacs pour l’irrigation de ces terres sableuses. Avec les fortes chaleurs de plus en plus fréquentes, la désertification s’accentue ces dernières années, à tel point que les vents soufflent du sable jusqu’à Bucarest, la capitale, située à 200 km. L’agriculture de blé et de maïs dans un de ces  « greniers de l’Europe », est menacée dans la région. La biodiversité également avec la raréfaction des arbres.

Dans la commune de Dabuleni, on retrouve un « Musée du Sable » sur 12 hectares, unique en Europe, mais aussi le « Centre de Recherche et de Développement pour la Culture de Plantes sur le Sable ». Créé dans les années 60 par l’État roumain, les chercheurs collaborent avec les agriculteurs locaux pour cultiver des fruits et légumes qui s’adaptent aux zones arides : les pastèques de Dabuleni, célèbres dans tout le pays, mais aussi des patates douces, et cacahuètes.

Plus récemment, le centre expérimente des systèmes d’irrigation modernes et économes, ainsi que d’autres cultures, comme le kiwi, les dattes et les olives, qui pourraient s’adapter aux changements climatiques et aux futures zones désertiques de la Roumanie et d’Europe.

Si l’adaptation est une question vitale dans cette zone, contenir la désertification est aussi nécessaire.  Des projets de reforestation sont envisagés par des associations avec l’aide d’entrepreneurs et de municipalités, mais ceux-ci font face à des agriculteurs qui ne veulent pas vendre leurs terres et au manque d’un programme national de reforestation sur le long terme.

  • Sahara de l'Olténie : les champs sont préparés pour accueillir les nouvelles cultures © Centre de Recherche et de Développement pour la Culture de Plantes sur le Sable

Publié le 20 décembre 2021. 

Le texte a été traduit en français par Aurore Vasseur et Simona Caricato, relu par Delphine Laval, Léa Seillé et Myriam Reguia.

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