L'Espagne compte une large part des communautés roms sur son territoire, mais seulement une poignée de ces personnes atteignent l'éducation supérieure. Comme dans bien d'autres pays européens, de nombreux obstacles empêchent les Roms d'être davantage représentés dans les universités. La discrimination est haut placée parmi les défis auxquels ils font face. Pour inverser la tendance, le réseau universitaire CampusRom offre une aide à celles et ceux qui souhaitent étudier.
« Adolescente, j’étais parmi les meilleurs élèves de ma classe. J’adorais les maths, mais je voulais devenir coiffeuse. À l’école, quand on nous parlait du bac, il n’y avait aucune représentation de personnes roms. Personne d’ailleurs autour de moi n’avait jamais terminé le lycée. Donc je me suis dit que ce n’était pas pour moi ». Assise à la table de cuisine dans sa maison à Gavà, près de Barcelone, Andrea Fernández parle vite en se rappelant cette époque. La jeune fille de 21 ans porte une queue de cheval et de grands anneaux aux oreilles. « Un jour, j’ai allumé la télé, et j’ai vu une belle femme rom qui expliquait qu’elle avait étudié l’éducation primaire. J’ai regardé ma mère qui était à côté, et je lui ai dit “pourquoi pas ?” »
Andrea fait partie des quelque 11 millions de Roms qui vivent en Europe. Le terme « rom » regroupe différentes minorités implantées sur le continent (manouches, gitans, roms, etc) et est accepté par la communauté globalement, contrairement aux mots « gitan » ou « tzigane » qui sont souvent utilisés de manière péjorative. Les Roms représentent la plus grande minorité du continent. En Espagne, troisième pays où ils sont le plus représentés, ils sont environ 700 000 (presque 2% de la population totale). 86% des familles roms vivent sous le seuil de pauvreté, d’après la fondation espagnole Secretariado Gitano, l’organisation la plus importante s’agissant de la promotion de la communauté rom en Espagne. Le taux de chômage de ce groupe est trois fois plus important que celui de la population espagnole en général. La situation est encore plus alarmante dans le cas des femmes roms, pour qui le taux de chômage atteint 60 %, comparé à 16% pour le reste des femmes.
Ana María, la mère d’Andrea, serre le café. Cette femme dynamique de 43 ans, aux boucles noires, explique avec fierté que sa fille est la seule de son quartier rom à avoir terminé le lycée et à avoir étudié à l’université. Le quartier où elles vivent, appelé La Masía, compte quelque 500 personnes. Ana Mari, comme on l’appelle généralement, a tout fait pour que cela puisse arriver. « J’ai toujours voulu que mes enfants puissent avoir ce dont je n’ai pas pu bénéficier, c’est-à-dire de participer activement à leur éducation en tant que parent », explique-t-elle. Andrea affirme que la présence de sa mère l’a aidé dans son parcours. Sa passion pour les études et son apparence physique peu typique des Roms aussi. La peau d’Andrea n’est pas bronzée, car, explique-t-elle, son père n’est pas rom.
Elle n’a toutefois pas échappé aux expériences de discrimination en raison de ses origines. Elle se rappelle comment, année après année, les professeurs lui ont proposé de rejoindre des classes spéciales, où elle savait qu’il n’y avait que des Roms ou des élèves migrants, et où le niveau était plus bas. « Et ça juste parce que je venais de La Masía ». Elle se rappelle aussi comment ses cousins et elle-même étaient souvent laissés de côté pour les travaux en groupe. Plus tard, alors qu’il était clair qu’elle était bonne élève, on l’a davantage intégré, mais pas ses cousins et cousines. Quand elle est devenue une jeune lycéenne, ceux-ci avaient déjà quitté le système scolaire.
Si 99% des enfants rom vont à l’école en Espagne (un des plus hauts taux dans l’Union européenne), seuls 15% environ terminent leur scolarité, contre à peu près 74% pour le reste de la population, selon l’Agence de l’UE pour les droits fondamentaux. Pire, seuls 3% ont un diplôme universitaire, contre environ 35% pour la population générale. Les données concernant les Roms en Espagne restent des approximations, étant donné que les sondages basés sur l’ethnicité sont interdits. Ces chiffres donnent toutefois un aperçu de la situation.
« Normalement, on explique cela par notre culture, c’est-à-dire que les Roms ne veulent pas étudier », explique Fernando Macías, lui-même issu de la communauté rom, et professeur associé à l’université de Barcelone. « Ce qu’on ne dit pas, c’est que bien avant que les familles roms retirent leur enfant de l’école, le système éducatif l’a déjà rejeté par une ségrégation constante. Nous sommes mis dans des écoles séparées, ou des classes spéciales où on nous apprend des activités différentes par rapport au reste. Le peu d’attentes des enseignants envers les élèves roms amène vers des cursus différenciés qui, on le sait, mènent à l’échec ».
Assurer un accès plus égal
Fernando Macías, 37 ans, est un homme éloquent, qui aime parler de son projet. Il a été élevé dans un quartier ouvrier de Santa Coloma, en banlieue de Barcelone. Sa mère, qui a élevé quatre enfants, était femme de ménage et son père travaillait dans le bâtiment. Fernando est aujourd’hui chercheur au Centre des Études Roms à l’université de Barcelone, et fait partie de l’équipe technique du Plan global pour les roms, du gouvernement catalan. Ce programme créé en 2005 vise à améliorer l’éducation, le travail, la santé et les conditions de logement pour les Roms en Catalogne, ainsi qu’à combattre les stéréotypes et les préjugés.
En 2016, Fernando travaillait déjà en tant que professeur pour aider les étudiants roms à accéder aux études supérieures, dans le cadre du Plan global pour les roms. Malgré cette initiative, il s’inquiétait de voir si peu d’entre eux sur les bancs de l’université. Lors de plusieurs visites à l’Université de Wisconsin-Madison aux États-Unis, il a découvert une initiative appelé « The Posse foundation » (la fondation ‘troupe’). Cette initiative aidait les afro-américains et autres minorités aux États-Unis à ne pas laisser tomber les études en s’assurant qu’ils puissent compter sur un réseau de soutien. De quoi largement inspirer Fernando.
De retour à Barcelone, il créé avec plusieurs étudiants du Plan, le premier réseau d’études espagnol CampusRom. « C’était assez facile à mettre en place car nous, les Roms, avons tendance à s’organiser en troupe », explique-t-il.
À l’intérieur du siège de CampusRom, sur la table à laquelle est assis Fernando, différents types d’objets sont disposés : des goodies, gadgets et brochures de l’association. Il porte d’ailleurs fièrement à son poignée un des bracelets CampusRom. Derrière lui, un cours d’anglais en ligne est projeté sur un grand écran. Une dizaine d’étudiants s’entrainent sur l’usage du fameux « have got ».
Le saut dans l'inconnu
Ana Mari était aux côtés de sa fille Andrea quand celle-ci a décidé de tenter l’examen d’entrée à l’université pour étudier les mathématiques. Elle reconnaît s’être sentie complètement perdue : « Je n’avais aucune idée de ce dont il s’agissait, et je n’avais personne à qui demander. J’avais vraiment peur qu’elle soit toute seule dans la grande ville de Barcelone, où on se rend normalement juste pour régler les questions administratives ». Ana Mari et Andrea se regardent et rient, pleines d’autodérision, alors qu’elles se remémorent cette période. « Puis un cousin à moi qui travaille comme médiateur culturel dans le quartier m’a dit que le Plan global pour les Roms pouvait soutenir Andrea dans la préparation de l’examen, que CampusRom pouvait donner des cours de soutien et des conseils, et que la meilleure personne à contacter pour tout ça était Fernando ». Après un coup de fil avec lui, la mère et la fille ont été rassurées. Ana Mari se rappelle : « Il m’a dit “cousine (c’est ainsi que les Roms s’appellent entre eux), la gamine ira à l’université et on va t’aider dans tout le processus”. Ça m’a complètement rassuré et permis de voir que nous n’étions pas seules ».
CampusRom est désormais une association à but non lucratif qui compte une centaine de volontaires. Environ le même nombre de personnes bénéficie de leurs services. L’organisation leur fournit une aide gratuite qui va du conseil pour les inscriptions, jusqu’aux classes de soutien. Celles-ci s’adressent aussi bien aux aspirants étudiants, qu’aux étudiants ou adultes non inscrits. Au sein de la structure, Fernando est chargé des cours d’espagnol (castillan), ainsi que de la gestion de projets et des relations institutionnelles.
Les cours sont donnés, soit par des volontaires de l’association, soit quand ils n’ont pas l’expertise requise, par des experts externes rémunérés. CampusRom reçoit à la fois des fonds publics et privés. S’il n’y a absolument pas d’obligation pour les élèves à rendre le service rendu par l’association, dans la plupart des cas, ceux-ci finissent par le faire en donnant par la suite eux-mêmes des cours de soutien, ou bien en participant aux évènements de l’organisation.
L’expérience de CampusRom a déjà été reproduite dans la région d’Aragón où une filiale a été créée en 2018. La même année, Andrea a commencé à étudié les mathématiques. Bien qu’elle ait raté l’examen d’entrée de quelques points, elle a pu s’inscrire grâce à une mesure dite de « discrimination positive » du gouvernement catalan. Il s’agit de réserver une place pour les étudiants roms dans chaque diplôme à l’université publique de la région.
« Au début à l’université, je me sentais comme une véritable fourmi, je pensais que je pouvais disparaître d’un moment à l’autre. Je me sentais très stigmatisée d’avoir bénéficié d’une aide (la mesure de discrimination positive, ndlr). J’avais aussi peur de me mélanger aux autres, peur qu’ils découvrent que j’étais rom, jusqu’à ce que, petit à petit, je finisse par me faire des amis », se souvient Andrea.
À ce moment-là, elle a commencé à recevoir des cours de soutien en programmation grâce à CampusRom. Après avoir réussi son examen, Andrea s’est rendue compte que les maths n’étaient finalement pas sa vocation. Elle a changé d’orientation pour se diriger vers la psychologie, où elle suit actuellement sa troisième année. Elle n’a pas eu besoin d’aide de la part de CampusRom dans cette nouvelle filière. À la place, elle a commencé à donner elle-même des cours bénévolement, en maths précisément.
Si Andrea a été la première de son quartier à étudier à l’université, sa mère Ana Mari est la première adulte du quartier à essayer d’y entrer. Elle a quitté l’école à 15 ans et a ensuite travaillé comme femme de ménage, jusqu’à ce qu’elle voie sa fille Andrea et son fils Yuri, 17 ans, être soutenu par le Plan global pour les Roms ainsi que par CampusRom. Elle a alors décidé qu’elle pouvait aussi, reprendre ses études. Elle y travaille justement lors de cette chaude après-midi d’avril. Dans la petite pièce qu’elle partage avec Andrea pour étudier, se trouvent deux chaises identiques devant un bureau accolé au mur. La pièce est décorée avec des photos, des dessins ou encore un poster qui explique l’histoire de la Journée internationale des Roms, qui se tient le 8 avril chaque année. Sur l’ordinateur, un bénévole de CampusRom aide Ana Mari à réviser à distance un cours sur la guerre froide, pour la partie ‘Histoire’ de son examen d’entrée. Elle espère que ça l’aidera pour pouvoir étudier la pédagogie, pour un jour devenir pédagogue en lycée, comme elle en rêve.
Quand on demande à Andrea ce que CampusRom lui a apporté, elle répond sans hésitation : « Le soutien familial que nous n’avons pas. Pouvoir appeler quelqu’un et lui dire ‘écoute j’ai un examen demain, ou je dois m’inscrire pour une bourse d’étude mais je ne sais pas comment faire, est-ce-que tu peux m’aider ?‘ et être sur que quelqu’un sera là pour nous ». Les chiffres fournis par l’organisation, basés sur des sondages auprès des bénéficiaires, semblent prouver que le système fonctionne : en 2021, sur les quelque 50 étudiants participants, 75% ont réussi leur examen avec plus de 80% des crédits.
L’initiative est pourtant loin d’être parfaite. Ses ressources humaines et financières sont limitées, et, comme le souligne Fernando Macías, elle n’est pas en mesure de répondre à toutes les demandes qu’elle reçoit. Alors que les examens d’entrée à l’université varient d’une région à l’autre, ils n’ont de l’expertise que pour la Catalogne et l’Aragón. Ils ne peuvent donc pas aider des étudiants d’autres régions. « Il nous faudrait davantage d’expertise, ou bien pouvoir compter sur plus de personnes d’autres régions pour être en mesure de mieux conseiller », explique Fernando.
Résilience féminine
Une odeur de fleur d’oranger flotte dans l’air au ranch familial ‘Hípica Herederos de Santiago’ en banlieue de Cambrils dans la province de Tarragone. Par moment, une odeur de crottin de cheval chatouille les narines. Inspiré par une musique de flamenco, un cheval agite ses sabots de haut en bas telle une danse. C’est d’ailleurs ainsi que les propriétaires qualifient le mouvement, en expliquant que c’est traditionnel dans la communauté gitane, historiquement dédiée au commerce de chevaux. Loli Santiago, co-présidente de CampusRom, tape dans ses mains au rythme de la musique. Cette femme de 46 ans aux cheveux bouclés est déjà grand-mère d’un bébé de sept mois. Elle est issue d’une famille de commerçants de cheval et est la seule fille parmi cinq enfants. L’activité familiale est désormais tournée vers le dressage de chevaux.
« Depuis que je suis petite, j’ai toujours voulu aider les autres gitanos à aller à l’école, et c’est ce que je fais maintenant », explique Loli. Si le désir a toujours été présent, ce n’est qu’à 36 ans que Loli a pu elle-même étudier. « On pourrait dire que je suis parmi les premières bénéficiaires de CampusRom », dit-elle en souriant. Avant de découvrir l’organisation, elle avait déjà tenté de reprendre le chemin de l’école, qu’elle a quitté à 14 ans. Elle s’est inscrite dans une formation en intégration sociale. Toutefois, elle explique s’être sentie à maintes reprises démotivée et très mal à l’aise en raison de commentaires anti-rom dont elle raconte avoir été victime en classe, parfois même de la part des profs. Il s’agissait surtout de relayer des stéréotypes selon lesquels tous les Roms sont des voleurs ou des fainéants.
Loli a ensuite rencontré Fernando en 2016, qui l’a poussée à s’inscrire à l’université, après quoi, elle a bénéficié des conseils de CampusRom, qui a vu le jour la même année. Avec un diplôme universitaire de travailleur social en poche, Loli est la seule personne dans sa famille étendue de 80 membres à être allée à l’université. En plus d’être co-présidente de CampusRom, elle est la coordinatrice de l’organisation pour les cours d’anglais. À côté de ça, elle exerce aussi comme travailleuse social qui fournit des conseils et de la médiation entre les étudiants roms, leur famille et l’école dans plusieurs établissements primaires et secondaires. Loli considère que CampusRom est un important pilier de sa vie : « c’est comme un rêve qui est devenu réalité ».
Les femmes ne comptent que pour un tiers du total des participants aux programmes de CampusRom. « De mon expérience, il est trois fois plus difficile pour les femmes de combiner les études, le travail, la maison et les enfants, et je pense que c’est la raison pour laquelle il est plus difficile pour nous de participer à des programmes comme CampusRom », affirme Ana Mari. C’est pourquoi Loli a créé un groupe sur l’égalité des genres. Les 25 participantes de CampusRom en font toutes partie. Dans ce groupe non-mixte, elles peuvent partager leurs doutes et les obstacles auxquels elles font face, pour que leurs besoins soient ensuite pris en compte dans les actions de CampusRom. L’organisation a également mis en place un plan d’action pour l’égalité de genre qui liste les mesures à prendre pour atteindre, en interne, un traitement et des opportunités égales entre les femmes et les hommes.
« Jusqu’à peu, il était rare d’avoir un groupe de femmes roms qui se retrouvent pour parler d’études universitaires, c’est vraiment une source d’émancipation », explique Loli, assise à la table de salle à manger familiale. C’est là qu’elle avait pour habitude de préparer ses examens, entourée d’une impressionnante collection de trophées de compétition, et de tableaux représentant des chevaux.
« Nous avons même une expression pour désigner cette sororité rom, 'phenjalipe', que l'on pratique depuis des siècles pour survivre »
« Pour les femmes, en plus de la pauvreté et de l’anti-gitanisme rencontrés par tous les Roms, il y a aussi une discrimination de genre, à la fois à l’intérieur de la communauté, et à l’extérieur. Au sein de la communauté, on imagine facilement que c’est avant tout la sphère domestique qui nous est réservée », fait remarquer María del Carmen Filigrana, psychologue rom et coordinatrice de la fédération pour les femmes rom Fakali.
María del Carmen Filigrana a également co-fondé l’association Amuradi en 2001 (membre de la fédération Fakali), qui est la première association étudiante réservée aux femmes roms. Elle souligne : « Les Roms ont l’habitude de vivre en communauté, et en tant que femmes, nous sommes habituées à être très proches de nos cousins, frères et soeurs, tantes etc, et cela nous donne un pouvoir collectif qui nous rend plus forts. Nous avons même une expression pour désigner cette sororité rom, ‘phenjalipe’, que l’on pratique depuis des siècles pour survivre. Ces mouvements universitaires se basent également là-dessus et ont beaucoup à voir avec la force de faire les choses ensemble ».
Malgré les défis, la tendance générale d’avoir de plus en plus de femmes à l’université est bien partie pour bénéficier aussi aux Roms, d’après des recherches menées par des projets tels que « les Roms dans les universités espagnoles, défis et actions pour les surmonter » du ministère espagnol de l’économie. Ainhoa Flecha est la chercheuse principale du projet. Elle relève la pertinence des initiatives comme CampusRom, « surtout pour les étudiants qui ont peu ou pas de mentor et de modèles. Il est fondamental de pouvoir partager ses expériences, ses doutes et ses sentiments dans un réseau qui peut soutenir, encourager, orienter. C’est un besoin que l’on retrouve souvent dans notre étude ».
Pour Andrea, les études et la connaissance ont également un impact symbolique : « Je me sens encore plus gitana après avoir fait des études, parce que maintenant, si quelque me dit que je ne suis pas assez bonne pour quelque chose, que ce n’est pas pour moi, je peux le contredire », affirme-t-elle. María del Carmen Filigrana ajoute : « Il y a un besoin encore plus fort de faire ses preuves chez les Roms que chez les autres. Pour les femmes qui réussissent, le fait d’avoir étudié et d’avoir une carrière professionnelle est vécu comme une sorte de justice sociale pour toute leur famille et leur communauté ».
« J'adorerais un jour intervenir dans des écoles et y voir des profs roms »
Toutes les personnes consultées s’accordent : assurer des opportunités égales aux étudiants roms en Espagne et ailleurs nécessite l’implication du système éducatif dans son ensemble, et une série d’éléments allant de plus de ressources dans tous les établissements scolaires, à l’inclusion des personnes roms dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques. Parmi les changements nécessaires, Fernando souligne le besoin d’une législation sur l’anti-gitanisme. En ce moment, une loi globale sur l’égalité de traitement et la non-discrimination est débattue à la chambre basse espagnole. Celle-ci devrait, pour la première fois, introduire les discriminations raciales contre les Roms dans le code pénal espagnol, comme une forme de crime de haine, et comme une circonstance aggravante dans les infractions.
La soirée se termine à Gavà. Assise proches l’une de l’autre, Andrea et sa mère Ana Mari racontent avoir un emploi du temps chargé en ce moment. Depuis qu’elles ont décidé d’étudier, des opportunités professionnelles intéressantes se sont ouvertes pour toutes les deux. Elles jonglent désormais entre le travail et les études. Andrea travaille désormais comme technicienne sur des questions sociales au sein du Plan global pour les Roms, du gouvernement catalan. Ana Mari fait pour le moment un travail social au sein du lycée de Sant Cosme, où se trouve l’un des quartiers roms les plus isolés de la région de Barcelone. Elles aiment toutes les deux leur travail, et ont des ambitions précises pour leur avenir. Andrea espère faire un doctorat en psychologie éducative, afin de pouvoir contribuer au succès académique des personnes issues de minorités : « J’adorerais un jour intervenir dans des écoles et y voir des profs roms. On est tellement en Espagne, pourquoi ne pourrait-on pas être dans ces milieux aussi ? »
En Europe, les programmes de revenu minimum laissent souvent les Roms de côté
Le Réseau ERGO milite pour une meilleure application des politiques au niveau national et européen concernant l’inclusion des personnes roms dans la société, et la lutte contre l’anti-gitanisme. En novembre 2021, le réseau ERGO a publié un rapport sur l’accès pour les Roms aux programmes de revenu minimum dans cinq pays européens, qui vise à nourrir le Socle Européen des Droits Sociaux et le Cadre Stratégique Européen pour les Roms.
ereb: pourquoi travailler sur ce sujet en particulier ?
Les Roms en Europe sont pauvres à 80%. 41% disent faire l’objet d’anti-gitanisme de manière quotidienne. Dans ce contexte, si vous ne trouvez pas de travail, vous êtes obligé de compter sur la sécurité sociale. Les Roms font toutefois face à de nombreux obstacles pour accéder à la protection sociale et au revenu minimum.
Quels sont les résultats de l’étude ?
Premièrement, le montant du revenu minimum est souvent inadapté et complètement déconnecté du pouvoir d’achat, de l’inflation, des budgets de références et du taux de pauvreté national, il n’offre donc pas un niveau de vie décent aux bénéficiaires. Deuxièmement, les programmes de revenu minimum ont des critères d’éligibilité très stricts. Si vous avez une quelconque source de revenu, même d’un montant infime, vous êtes inéligible. Enfin, les procédures sont très complexes, avec un grand nombre de documents à fournir. C’est un véritable problème pour les Roms, qui n’ont souvent que des contrats de bail à très court terme. Parfois, ils n’ont pas du tout de preuve de résidence, ou de carte d’identité. On imagine donc facilement que ces procédures découragent bon nombre d’entre eux. Sans parler de l’anti-gitanisme constant à l’intérieur des administrations, additionné à la stigmatisation générale des bénéficiaires d’aides sociales. Nous avons rapporté un cas en République tchèque, où une personne rom est allé déposer son dossier d’inscription à l’administration, qui a refusé de le traiter. Après plusieurs tentatives sans succès, la personne est finalement venue accompagnée d’un activiste non-rom, et c’est seulement à ce moment-là que l’administration a accepté son dossier.
Quelles sont les prochaines étapes pour influencer les politiques sur ce sujet ?
Nos membres vont utiliser cette recherche pour tenter d’influencer les politiques nationales. Au niveau européen, une recommandation du Conseil de l’Union européenne doit être publiée avant la fin de l’année sur le revenu minimum. Nous avons répondu à l’appel à contributions de la Commission européenne, et nous allons maintenant nous assurer que le texte de la recommandation mentionne des catégories de personnes spécifiques comme les Roms. Sur le long terme, nous aimerions voir une directive européenne sur le revenu minimum.